Nous avons pu le constater de nombreuses fois ici et ailleurs dans la blogosphère : les GAFAM (et affiliés) promeuvent le capitalisme de surveillance, ce modèle économique conceptualisé et analysé par Shoshana Zuboff dans un livre éponyme. Outre le fait qu’il se révèle particulièrement lucratif (et c’est un euphémisme) pour certains acteurs dominants du marché, il s’accompagne de problèmes d’une gravité sans précédent dans l’histoire de l’Humanité.
L’un d’entre eux touche de plein fouet notre sacro-sainte démocratie, déjà affaiblie par d’autres dangers. Le capitalisme de surveillance sape notre confiance vis-à-vis des institutions les plus fondamentales ainsi que notre libre arbitre et notre esprit critique. C’est ce que la journaliste Carole Cadwalladr dénonce dans une séquence TED particulièrement effrayante, intitulée : Facebook’s role in Brexit – and the threat to democracy.
Les attributs du capitalisme de surveillance sont maintenant bien connus. On peut en lister les principales caractéristiques :
- Globalisation des activités économiques (transnational);
- Hyper-capitalisme (capitalisme poussant le modèle lucratif et totalement inégalitaire à l’extrême ainsi qu’à la création de situations de monopoles et de positions dominantes);
- Attitude schizophrène vis-à-vis des logiciels libres (utilisation massive de l’open source, contribution à son développement, pour réaliser au final des solutions opaques et fermées, protégées par de nombreux brevets);
- Surveillance de masse des clients de leurs solutions;
- Utilisation de la publicité ciblée et de la valorisation économique des données personnelles pour financer des services proposés souvent gratuitement aux clients;
- Influence de masse de la population pour instiller des modifications de comportement et d’opinion, à l’insu des personnes visées, grâce à des connaissances poussées dans les neurosciences;
- Opacité totale quant aux intentions de l’entreprise vis-à-vis de la communauté, au modèle de rétribution de l’organisation, aux partenariats obscurs avec d’autres acteurs privés ou publics.
Il se trouve que le capitalisme de surveillance n’est pas le seul défi auquel nous devons faire face. Les crises environnementales et sociales sont nombreuses, tout autant inquiétantes et urgentes. La question est simple : peut-on s’attaquer au problème du changement climatique ou à la perte massive de biodiversité constatée avec au dessus de nous l’épée de Damoclès du capitalisme de surveillance et les manipulations qu’il induit forcément ? Peut-on effectivement nous lancer dans une réelle transition écologique à grande échelle ? La réponse est clairement non.
Ce modèle a permis de créer des colosses dotés d’une puissance financière et politique inédite, naturellement opposés au mouvement de la transition. Toute initiative visant à remettre en cause leur hégémonie serait ainsi vouée à l’échec.
Quelles solutions
Dans le cadre de ce blog, nous avons déjà abordé des solutions possibles, liées notamment aux Communs, aux logiciels libres, à la décentralisation et aux alternatives soutenues par l’ESS (Économie Sociale et Solidaire).
Je suis récemment tombé sur plusieurs conférences filmées d’Aral Balkan, un « social entrepreneur » plutôt doué pour faire passer des messages. Il milite pour que l’économie du numérique suive ce qu’il appel un « dessein éthique » ou « ethical design » :
Les produits et services proposés par les GAFAM (et affiliés) sont en général très fonctionnels et séduisants (deuxième et troisième étages de la pyramide), mais sont clairement en opposition aux droits de l’homme (premier étage).
Aral Balkan défend bien sûr les logiciels libres qui respectent dans leur essence le premier étage de la pyramide. Mais il se révèle également critique à leur égard pour ce qui est des deux étages supérieurs, à savoir l’utilisation, les fonctionnalités et au final, « l’émerveillement » ou « l’enthousiasme », qui font parfois défaut dans les logiciels libres.
All design is influence; design without ethics is manipulation – Tout dessein a une influence; un dessein sans éthique est de la manipulation.
En français, le premier étage reprend les éléments suivants :
- Décentralisé
- Pair-à-pair
- Non technocratique
- Chiffré de bout en bout (respect de la sphère privée et des données personnelles)
- Libre et open source
- Interopérable
- Accessible
- Durable
Nous ne sommes pas très loin des chatons !
Voici donc une de ses conférences très inspirantes, en anglais et malheureusement non sous-titrée en français. Elle commence par un clip du groupe de musique Moby, dénonciateur d’une société de plus en plus dépendante de la technologie et des écrans. L’animation de l’illustrateur Steve Cutts représente une charge ironique et grinçante de l’économie de l’attention, une composante du capitalisme de surveillance.