Logiciels durables

Que ce soit pour le développement durable ou pour les logiciels libres, les trois piliers suivants sont concernés :

En guise de conclusion, nous verrons comment ces deux domaines, a priori étrangers l’un de l’autre, convergent vers des valeurs similaires.

L’environnement

L’informatique au sens large est souvent la cible de critiques quant aux ressources consommées (matières et énergie) et aux déchets produits. Cette constatation est vérifiée année après année par la loi empirique de Moore, qui prédit avec une singulière précision le doublement de nombre de transistors dans les microprocesseurs tous les deux ans, à prix constant, et ce depuis le début des années septante [1].

Cette course exponentielle à la puissance a eu pour effets positifs de diffuser largement l’informatique (de manière certes inégale dans le monde), de servir de terreau à l’avènement d’internet, puis du web, sans compter toutes les applications utiles qui reposent maintenant sur de l’informatique et qui interagissent avec nous.

Ce « progrès » a cependant impliqué l’adoption d’un modèle pervers reposant sur un remplacement effréné des ordinateurs (tous les trois ou quatre ans) et autres périphériques informatiques comme les smartphones. La puissance étant chaque fois renouvelée, les développeurs n’ont pas été incités à créer des logiciels bien conçus et économes en ressources, ce qui a encouragé (et encourage toujours) les individus et les entreprises à jeter leur ancien matériel pour le remplacer par un plus récent et plus puissant. Ce modèle semble donc s’alimenter lui-même…

Les logiciels libres ont une carte à jouer pour réduire la production de déchets et la consommation des ressources. On constate effectivement que les logiciels libres utilisent en règle générale moins de ressources matérielles que leurs équivalents propriétaires [2]. Cela implique une prolongation de la durée de vie du matériel et une diminution du rythme de remplacement. En sachant que l’énergie grise liée aux équipements informatiques ne cesse de croître et représente au final un impact environnemental bien plus élevé que les éventuels gains en consommation électrique pour des modèles plus récents, on se doit de faire en sorte de garder nos appareils le plus longtemps possible [2] [3]. L’utilisation des logiciels libres sur du matériel récent ou plus ancien se justifie donc que ce soit pour les PC ou les serveurs.

La transparence du code source permet également d’éviter l’obsolescence programmée (logicielle). Qu’il soit informaticien-citoyen passionné, étudiant dans une haute école ou encore développeur dans une entreprise privée, il peut vérifier l’intégrité du code des logiciels libres qu’il utilise. Et s’il n’est pas technicien, il peut de toute manière faire appel à la communauté qui se charge de vérifier la qualité du code source.

L’économie

De par sa transparence, l’informatique libre permet une émulation positive basée sur une forme de méritocratie. En effet, un logiciel libre de qualité, stable et sécurisé restera sur le devant de la scène, sera utilisé et ses développeurs seront reconnus au sein de la communauté. A contrario, un logiciel libre peu performant et instable sera très rapidement oublié. Ce fonctionnement favorise la qualité réelle des logiciels. On note également que les logiciels libres répondent aux besoins des utilisateurs et non aux directives d’un département marketing ou des actionnaires d’une grande entreprise orientée uniquement vers le profit.

Le modèle économique du logiciel libre se base essentiellement sur le service et non sur une économie de rente (comme pour licence privative). La masse considérable de logiciels libres actuellement disponible représente en quelque sort un bien commun pour l’humanité. Si une entreprise réalise qu’il lui manque une fonctionnalité essentielle dans un logiciel libre de gestion, elle peut mandater une société de service informatique locale pour qu’elle la lui développe. Cette nouvelle fonctionnalité sera ensuite intégrée dans le bien commun et pourra ensuite être utilisée librement par tout un chacun. Au contraire du modèle classique bridé par les brevets et les licences privatives, ce modèle favorise naturellement l’amélioration participative, l’adaptation libre à des besoins locaux, la créativité et l’innovation. Les logiciels libres promeuvent ainsi une économie de service plus locale et plus proche des citoyens.

Les vertus de cet écosystème ne sont plus à prouver. De nombreuses entreprises ont largement adopté les logiciels libres dans leur modèle économique, comme IBM, Facebook, Google, Amazon, etc… Il est clair que l’intention de ces entreprises n’est pas toujours orienté vers la durabilité, vers une économie éthique ou encore vers le respect de la sphère privée, mais le fait qu’elles l’adoptent naturellement démontre l’efficacité purement technique du modèle.

Le social

Le modèle libre favorise les relations entre les individus, renforce la solidarité et la collaboration et permet une approche non-marchande. En effet, grâce à internet, des communautés de développeurs-utilisateurs bénévoles et professionnelles collaborent sur des projets communs, proposent sur internet des applications libres généralement gratuites et des services (payants ou non).

Comme le code source est libre, d’autres organisations, associations ou entreprises privées peuvent récupérer ce travail pour l’enrichir ou le transformer. Et ainsi de suite en suivant un cycle vertueux d’amélioration continue, le tout partagé au sein de la communauté et accessible sans avoir à s’acquitter d’une licence onéreuse. Ce modèle s’avère particulièrement efficace pour les administrations publiques, les ONG, les particuliers, les associations ou encore l’éducation. Le réseau de l’économie sociale et solidaire (ESS) [4] se retrouve d’ailleurs particulièrement dans les valeurs des logiciels libres [5].

Concernant les administrations publiques, les logiciels libres permettent des économies substantielles en matière de coûts informatiques et donc, une meilleure utilisation des deniers publiques. En effet, un logiciel libre particulier développé pour une administration communale pourra être utilisé sans coût additionnel dans une autre commune de la même région ou du pays. Seuls les coûts du service seront comptés (installation, paramétrage).

Les logiciels libres permettent, nous l’avons vu plus haut, de s’équiper en informatique (bureautique, photo, vidéo, internet) pour un coût très bas. En effet, un ordinateur d’occasion de gamme professionnelle, équipé de GNU/Linux et de toutes les applications nécessaires, se monte entre 150 et 500 CHF, tout compris, et sans avoir à pirater des licences logicielles. Ce modèle permet donc une grande accessibilité à l’information (comme Wikipedia) et la possibilité de réellement participer à la société en tant que citoyen.

Convergence

La compatibilité entre développement durable et logiciels libres est illustrée dans le diagramme suivant avec quelques exemples :

Patates durables

« Patates durables » ou convergence entre logiciels libres et développement durable (CC BY-SA)

Le cas particulier du GreenIT

Le mouvement appelé GreenIT [6] vise lui aussi une informatique durable. Cette approche se veut pragmatique, efficace, reconnue par les institutions et orientée principalement vers les réductions des impacts environnementaux de l’informatique (réduction de la pollution et de la consommation d’énergie, réduction des émissions de CO2, optimisation des data-centers, utilisation de matériels labellisés,…). Cette tendance s’explique historiquement par son nom fortement connoté, ce qui limite quelque peu la portée de la démarche. Les sensibilités des acteurs peuvent cependant se révéler fort différentes dans ce mouvement, mais il manque parfois le pilier social et la dimension éthique dans les approches GreenIT.

Le GreenIT s’adresse majoritairement aux entreprises et aux États. Il utilise souvent trois axes pour convaincre : la réduction des coûts par une diminution des dépenses énergétiques, une réduction des risques environnementaux en lien avec les limites légales et une amélioration rapide de l’image vis-à-vis du public, sur des thématiques bien médiatisées, comme la protection du climat, la lutte contre la pollution ou la transition énergétique.

Dans ce secteur, les logiciels libres ne sont pas aussi présents que dans celui des serveurs web, par exemple, mais cette tendance est en train de changer. Une adoption plus importante des logiciels libres dans ce domaine permettrait une propagation des bonnes pratiques plus rapide dans le tissu économique et une amélioration qualitative soutenue des logiciels proposés [7].


Références

    1. Art. Loi de Moore, Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Moore.
      Note : certains spécialistes pensent que cette loi ne pourra pas être vérifiée sur le long terme, principalement pour des raisons physiques. Lire à ce sujet cet excellent article sur ZDNet.
    2. Art. Logiciel libre et développement durable, même combat ?, sur Framablog.
    3. Art. dans ce blog : Environnement et informatique : croyances et idées reçues. Cet article fait lui référence au site greenit.fr.
    4. Art. Économie sociale, Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_sociale.
    5. Art. Logiciel libre et ESS, une économie à l’intention de tous, L’humanité.
    6. Art. Informatique durable sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Informatique_durable
    7. Art. Green IT et Open Source : quel rapport ? sur le site journaldunet.com.

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