Sauver le monde avec le peer-to-peer ?

Ce titre quelque peu provocateur est inspiré de celui du dernier livre de Michel Bauwens, édité en 2015 aux éditions Les Liens qui Libèrent. Il est plus précisément sous-titré Vers une économie post-capitaliste avec le peer-to-peer.

sauver-le-mondeIl s’agit d’un recueil de plusieurs entretiens entre Michel Bauwens et Jean Lievens. La théorie détaillée dans cet ouvrage permet de prendre du recul sur notre société et de constater d’une part qu’une transition vers un modèle post-capitaliste est inévitable et d’autre part que le moteur des logiciels libres prouve encore une fois qu’il est à l’origine d’un réel changement de paradigme.

Mais qu’est-ce que le peer-to-peer ?

Le peer-to-peer, souvent abrégé p2p et appelé en français pair-à-pair, est un mode d’organisation issu historiquement du monde des logiciels informatiques. C’est d’ailleurs l’évolution technologique des 20 dernières années de l’internet et de sa structure en réseau qui a permis l’émergence de ce fonctionnement.

Wikipedia donne la définition suivante (extraits) :

Les systèmes pair-à-pair permettent à plusieurs ordinateurs de communiquer via un réseau, en y partageant simplement des objets – des fichiers le plus souvent, mais également des flux multimédia continus (streaming), le calcul réparti, un service, etc.

La particularité des architectures pair-à-pair réside dans le fait que les données puissent être transférées directement entre deux postes connectés au réseau, sans transiter par un serveur central. Il permet ainsi à tous les ordinateurs de jouer directement le rôle de client et serveur (voir client-serveur). On appelle souvent nœud les postes connectés par un protocole réseau pair-à-pair.

La hiérarchie n’est plus pyramidale mais plate et chaque nœud du réseau est à la fois client et fournisseur.

En dehors de la particularité informatique, les réseaux p2p peuvent être appliqués à d’autres domaines de la société. Le modèle p2p au sens large est promu dans le cadre de la P2P Foundation, dont Michel Bauwens est le fondateur.

Le p2p dans notre société

Michel Bauwens aborde cette théorie sous plusieurs angles : économique, politique, spirituel et philosophique. C’est d’ailleurs ainsi que le livre est structuré.

Nous sommes tous plus ou moins conscients que le modèle économique actuel arrive en bout de course. L’économie capitaliste a été à l’origine d’une augmentation considérable de la productivité et d’une certaine forme de progrès. Cela a été cependant rendu possible uniquement par l’utilisation massive de l’énergie fossile présente sur terre, en n’intégrant dans l’équation que les coûts d’extraction de ces énergies, rendant cette ressource faussement bon marché.

En nous retournant vers le passé, on prend conscience des différents modèles qui ont émergé, de l’esclavage à l’époque romaine au capitalisme actuel, en passant par la période féodale. La société s’est progressivement libérée d’un modèle essentiellement basé sur la contrainte. Le capitalisme n’est donc pas une fin ultime et parfaite, mais bien une étape dans l’évolution de notre société. La démocratie a permis à une partie de la population (hélas pas toute) de se libérer du joug d’un petit nombre de puissants en acquérant plus d’autonomie et un certain libre-arbitre. Le modèle de production capitaliste, lui, reste basé sur un fonctionnement de type féodal, avec une pyramide hiérarchique plus ou moins pointue, et avec une claire distinction entre un petit nombre de décideurs et un grand nombre de producteurs peu impliqués dans les décisions.

Ce que propose Michel Bauwens est de poursuivre ce qui a déjà été amorcé dans le domaine informatique avec les logiciels libres, mais au niveau de l’économie et de la société, à savoir un modèle de production collaboratif et distribué, organisé en réseaux p2p.

L’expression ne pas réinventer la roue prend ici tout son sens.

De nombreux exemples sont abordés dans l’ouvrage, comme par exemple le crowdsourcing, le crowdfounding, la gestion collaborative de connaissances (comme Wikipedia), l’open hardware (avec les projets Wikispeed – voiture open source créée collaborativement-, Arduino ou encore Raspberry Pi), la production décentralisée (imprimantes 3D, FabLabs,…) ou d’autres types de projets comme l’Open Source Ecology. Le principe est simple : des informations et de la connaissance sont créées par une communauté et ces briques deviennent libres. Sur ces briques, d’autres informations et connaissances peuvent être créées, et ce de manière très efficace et rapide. Il s’agit du principe des communs et le progrès permet d’alimenter ce réservoir de ressources communes et modulaires, en suivant un cycle vertueux. L’expression ne pas réinventer la roue prend ici tout son sens.

Il en ressort une efficacité et une productivité hors du commun, bien plus élevée que celle générée par le modèle capitaliste actuel. Les résultats obtenus sont forcément plus proches des attentes et besoins des usagers, puisqu’ils participent au processus de création de manière volontaire. Les problématiques de gaspillage de ressources, d’énergie et même d’obsolescence programmée n’apparaissent pas dans la mesure où le but n’est pas la maximisation du profit, mais bien un résultat conforme aux attentes tout en évitant le phénomène de création artificiel de besoins (que penser des montres connectées ?). Même si la notion de profit peut exister dans une économie p2p, elle est secondaire et la planification de la production n’est pas centralisée.

Il est clair que ce changement ne se fera pas d’un coup de baguette magique. Le modèle p2p reste actuellement marginal, mais de grandes structures capitalistes intègrent des logiques de p2p, comme IBM, Facebook, Tweeter, ou Google par exemple, ce qui n’est pas sans poser certains problèmes liés à l’accès libre aux communs[1]. Michel Bauwens imagine une transition progressive vers une économie en réseau plus collaborative mais intégrant une part de capital. L’économie p2p n’est pas anti-capitaliste, mais représente bien une alternative post-capitaliste.

Le livre apporte de nombreuses réflexions enrichissantes sur une alternative au modèle économique actuel et j’en conseille fortement la lecture. Je regrette juste un léger manque de cohérence sur la forme, à savoir que le livre est protégé par un copyright et non par une licence creative commons, comme l’a fait courageusement Sébastien Broca dans son livre Utopie du logiciel libre – du bricolage informatique à la réinvention sociale, chroniqué sur ce site. Il est vrai que la situation économique actuelle très difficile de l’édition dans une économie capitaliste ne permet peut-être pas toujours cette liberté[2].

Vous pouvez écouter un interview passionnant de Michel Bauwens sur RFI. Directement accessible ici :


Notes

  1. Ces grandes entreprises du net sont regroupées par Michel Bauwens dans la catégorie du capitalisme netarchique. Elles sont caractérisées par un contrôle central du réseau et de la dynamique p2p. En plus des problèmes posés par l’accès libre aux communs par ces entreprises dites capitalistes, elles accaparent de plus en plus d’informations personnelles afin d’alimenter leur modèle économique. Les technologies émergentes de big data permettent déjà une certaine prédictibilité de comportements et cette tendance s’accentue. Ce n’est clairement pas le modèle promu par la P2P Foundation.
  2. J’ai posé la question à Michel Bauwens concernant la raison du copyright pour la publication de son livre. Il m’a répondu qu’il comprenait bien la problématique soulevée. Cependant, il mentionne qu’il n’a simplement pas trouvé d’éditeur acceptant de publier un livre en CC et que c’était pour lui le moyen pour toucher un plus grand éventail de population. Il précise également qu’il a publié un contenu très vaste pendant plus de 10 ans en CC sur le wiki de la fondation.

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